Entretien

« La permaindustrie, c’est appliquer les grands principes de la nature à l’industrie », Thomas Huriez

"Au quotidien aussi, la permaindustrie peut aider à guider les choix, à orienter les achats"

Thomas Huriez est le fondateur de 1083.

Ecrit par Déborah de Mon Quotidien Autrement

Après un début de carrière dans l’informatique, Thomas Huriez s’est reconverti dans le textile avec un objectif : relocaliser la production de jeans. Il a fondé, il y a 11 ans, l’entreprise 1083, à Romans-sur-Isère, dans la Drôme. 1083, comme le nombre de kilomètres séparant les deux villes les plus éloignées de l’Hexagone. Le quarantenaire vient de faire paraître La permaindustrie *. Un livre dans lequel il pose les bases d’un monde où industrie et nature ne seraient pas opposées. 

Qu’est-ce que la permaindustrie ?

La permaindustrie consiste à appliquer les grands principes de la nature à l’industrie. On parle de l’industrie au sens large. Pas seulement de l’industrie manufacturière mais de l’activité de créer et de produire ensemble. Le vivant est une source d’inspiration formidable, car dans la nature, il n’y a pas d’externalités. La nature est en adaptation permanente, en équilibre permanent. C’est ce modèle que nous voulons bâtir pour l’industrie de demain.

Quels sont ces grands principes de la nature que vous évoquez ?

Nous en avons identifié six :

  • créer et produire, car le vivant crée, produit et se reproduit en permanence.
  • se limiter, s’autoréguler. C’est une chose qu’on apprend aux enfants, mais en économie, c’est un principe qu’on a complètement oublié.
  • s’adapter au terrain. La nature part toujours du terrain. Elle fait avec ce qu’il y a sur place et s’adapte.
  • cultiver la diversité. Dans la nature, c’est la diversité qui crée la résilience.
  • être circulaire. Pas de déchets. Rien ne se perd, tout se transforme dans la nature.
  • s’interconnecter. C’est vrai à toutes les échelles. A l’échelle planétaire pour le climat par exemple, ou à l’échelle d’un arbre qui interagit avec les autres êtres vivants autour de lui.

De quelle manière ces six principes s’appliquent-ils chez 1083 ?

Chez 1083, on part du terrain en produisant localement, en France. Nous avons relocalisé la production des jeans, leur tissage, la fabrication des boutons. On se limite en ne les distribuant qu’en France. Au départ, notre coton, bio, provenait en majorité de Tanzanie. Pour aller plus loin dans la relocalisation, nous nous sommes lancés dans la fabrication de coton recyclé. On est circulaire avec nos jeans recyclés et recyclables, via un système de consigne. On peut renvoyer ou déposer en boutique son vieux jean. On tend au maximum vers le zéro déchet. Et en début d’année, nous avons confectionné le premier jean dans un tissu mêlant coton recyclé et coton cultivé en France.

On crée un écosystème autour de la fabrication de nos jeans, avec Les Tissages de Charlieu par exemple qui tissent nos jeans mais aussi avec de nombreux autres acteurs. On ouvre aussi nos usines aux visiteurs pour montrer notre modèle de fabrication. Ce ne sont là que quelques exemples. La permaindustrie s’apparente à une paire de lunettes que l’on porte et qui nous guide et nous aide à faire nos choix au quotidien. Elle nous aide à prendre des décisions en toute conscience.

La permaindustrie peut-elle concerner tous les secteurs d’activité ?

Bien sûr. Après avoir commencé à écrire le livre, nous avons voulu aller à la rencontre d’autres acteurs pour savoir ce qui se faisait ailleurs. La bonne surprise, c’est que nous avons découvert de très nombreuses initiatives. Des exemples d’entreprises et de structures qui mettent en place la permaindustrie, il en existe plein.

Et c’est vrai dans tous les secteurs. Ces principes ne s’appliquent d’ailleurs pas seulement à la sphère professionnelle. Au quotidien aussi, elle peut aider à guider les choix, à orienter les achats. C’est une grille de lecture pour tendre vers le monde de demain.

Pourquoi était-il important de mettre au point ce nouveau concept ?

De plus en plus d’entreprises, de structures, de personnes, s’accordent pour dire que le fonctionnement du monde dans lequel nous vivons n’est pas tenable. Ce constat est aujourd’hui partagé par une majorité, en Europe. Et on voit émerger une multitude d’initiatives, des consommateurs qui se mobilisent, des groupes qui passent à l’action. Mais ce foisonnement peut générer une impression de brouhaha. On peine à se concentrer sur les solutions. Et on peine à nommer le monde de demain. Parle-t-on d’altermondialisme ? D’anticapitalisme ? De transition ? D’impact ? Ce monde de demain n’a pas encore de nom. Difficile de définir un avenir que l’on ne peut pas nommer.

C’est la raison pour laquelle nous avons commencé à réfléchir au monde d’aujourd’hui et au monde de demain. Chaque modèle auquel nous pensions présentait des externalités négatives. Jusqu’au moment où nous avons réalisé que la modèle de création et de production le plus durable qui soit était celui de la nature et du vivant.

*Permaindustrie, Comment le développement d’écosystèmes inspirés de la nature est en train de changer le monde, de Thomas Huriez, Eric Boël, Audrey Prat et Jean-Marc Bouillon. (Editions Eyrolles, janvier 2024, 191 pages. 18 euros).

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