Entretien

Frans de Waal : « Sexe et genre sont différents à la fois chez les humains et les primates »

Chez les primates aussi il y a des individus non binaires, des mâles plus féminins ou des femelles plus masculines.

Frans de Waal, primatologue de renom © Éditions Les Liens qui libèrent

Ecrit par Mathilde de Mon Quotidien Autrement

Qu’est-ce qui rapproche et différencie les humains des primates, en particulier des chimpanzés et des bonobos dont nous sommes les plus proches ? Cette question n’a cessé de tarauder Frans de Waal tout au long de sa carrière. Le primatologue américano-néerlandais a publié plusieurs ouvrages sur le sujet, dont le dernier s’appelle « Différents : Le genre vu par un primatologue » (Les Liens qui libèrent, 28/09/2022, 25 euros).

Depuis sa maison d’Atlanta, aux États-Unis, où nous l’avons interviewé en visio, Frans de Waal est revenu sur les apports qu’il a documentés dans ce livre. Aux commencements des différences biologiques et de la notion de genre dans les sociétés primates et humaines.

Vous êtes l’un des meilleurs observateurs de primates depuis de nombreuses années. À l’origine, qu’est-ce qui vous a décidé à les observer et à apprendre d’eux ?

Je m’intéresse à tous les animaux en réalité. J’en suis arrivé aux primates plutôt de manière accidentelle. J’aimais beaucoup les poissons et les oiseaux, ce qui m’a mené à des études d’éthologie, durant lesquelles j’ai travaillé avec des oiseaux et des rats. Puis j’ai obtenu un poste pour étudier les primates et j’ai fini par travailler avec des chimpanzés. J’ai vraiment aimé travailler avec des animaux aussi intelligents qu’eux. Et comme j’aime écrire, j’ai adoré les observer et établir des liens avec le comportement humain.

Quand j’étais étudiant, on ne nous permettait pas de parler d’intelligence et d’animaux. Ils étaient tous considérés comme ayant seulement des instincts et étaient traités comme des machines. Mais les chimpanzés ont été la première espèce dont l’intelligence a commencé à être acceptée, car ils étaient très proches des humains génétiquement. Les scientifiques ont alors commencé à accepter que tous les animaux sont intelligents à leur manière.

Pourquoi est-il important pour vous d’établir des liens entre les comportements humains et les comportements des primates ?

Les humains sont aussi des primates, établir un lien relève donc de l’évidence. Certains prétendent que les humains relèvent d’une catégorie complètement différente des animaux, comme le font de nombreux philosophes. Or, nos cerveaux ne sont pas très différents. Le nôtre est environ trois fois plus gros que celui des chimpanzés. Mais cela signifie juste que nous avons un ordinateur plus puissant. À part ça, il fonctionne essentiellement de la même manière.

Qu’est-ce qui vous a le plus impressionné dans les liens entre les primates et les humains ?

Intellectuellement, avec le langage et la technologie, il y a de nombreuses différences entre les humains et les primates. Mais au niveau des émotions et des relations sociales, il est impressionnant de constater à quel point les chimpanzés nous sont semblables. Les expressions faciales sont très similaires et la manière dont ils réagissent aussi. Par exemple lorsqu’ils sont en colère ou cherchent à se faire des amis. Or, je n’avais pas été formé pour parler d’émotions car, à l’époque, les gens ne parlaient pas d’émotions animales du tout.

Dans votre dernier livre, vous abordez les notions de différences biologiques et de genre entre les humains et les primates. Qu’est-ce qui les rapproche ou les différencie sur ces sujets ?

Il y a une distinction entre le sexe et le genre à la fois chez les humains et les primates. Entre les mâles et les femelles chimpanzés ou bonobos, les caractéristiques physiques, les hormones, les chromosomes, etc. sont différents. Mais comme chez les humains, il y a une petite catégorie d’individus non déterminés entre mâles et femelles. Ce n’est pas complètement binaire non plus.

Et le genre, au sens des comportements masculins et féminins, existe aussi chez les primates. Le genre est un concept culturel et vous apprenez comment être un homme ou une femme grâce aux autres. Chez les primates, les jeunes femelles apprennent surtout auprès de leur mère, tandis que les jeunes mâles apprennent des mâles adultes. Mais vous avez aussi des mâles plus féminins et des femelles plus masculines. Dans mon livre, je décris par exemple le cas de Donna, une femelle chimpanzé, qui agit comme un mâle et s’identifie probablement comme tel, qui est totalement intégrée dans son groupe.

Il y a donc des différences genrées, mais la question du genre prend moins de place chez les primates. D’une part parce qu’il n’y a pas de questionnements autour de l’identité. Aussi parce que je n’y ai pas repéré de discriminations, tous les comportements et individus y sont acceptés.

Il y a finalement beaucoup plus de points communs que de différences… Pourquoi avez-vous choisi de titrer votre livre « Différents » ?

Parce que ce livre traite des différences entre les hommes et les femmes, même si c’est une question très complexe. La société a aujourd’hui tendance à vouloir éduquer les enfants de manière neutre en termes de genre. Pourtant, je crois que les différences entre hommes et femmes, entre filles et garçons, ont toujours existé et existeront toujours. Bien que vous puissiez élever des enfants de manière neutre en termes de genre jusqu’à un certain âge, lorsque l’adolescence arrive, les intérêts sexuels deviennent plus spécifiques au genre. Il y a bien sûr il y a des humains bisexuels, mais rien à voir avec la société bonobo qui, elle, est entièrement bisexuelle.

Il existe aussi des différences inhérentes de force physique et d’agressivité entre les hommes et les femmes, que nous voyons dans toutes les sociétés et y compris chez les animaux. Donc, même si l’idée d’élever des enfants de manière neutre en termes de genre est une idée bien intentionnée, elle pourrait ne pas les préparer de manière adéquate à la société adulte. Mieux vaut enseigner aux garçons et aux hommes à gérer leur position dans la société, à être responsables et non violents.

Votre perspective semble mêler biologie et sociologie. Établissez-vous des liens entre ces deux domaines ?

Absolument, la biologie est impliquée dans tout ce que font les êtres humains. Elle ne peut pas être ignorée. En ce qui concerne l’intelligence, par exemple, l’argument selon lequel les hommes sont plus dominants parce qu’ils sont plus intelligents a été réfuté. Le leadership existe également dans les deux sexes chez les primates et les rôles de genre ne sont pas aussi simples que les gens pourraient le penser. C’est donc un problème complexe qui implique à la fois la biologie et la culture.

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